Le petit monde des coiffeurs genevois est impitoyable. Quand le salon Dandy’s Barber Lounge a ouvert il y a quelques mois, son premier client a été un affable jeune homme, qui s’est avéré être un espion envoyé par un concurrent.

Caché sous un faux profil Facebook (mais avec sa vraie photo), l’infiltré n’a pas tardé à révéler ses intentions en postant des commentaires assassins sur la coupe de cheveux qu’il venait de se faire faire. Et en vantant, un peu naïvement, les atouts de son propre salon, lui aussi positionné sur le créneau barbe.

Dandy’s Barber, le barbier qui veut survivre à la mode hipster – Le Temps

Au Dandy’s Barber Lounge, on en rigole encore. L’incident n’a pas eu d’impact négatif sur le chiffre d’affaires, qui est en pleine expansion, à en croire les coiffeurs Romain Marincamp et Vincenzo Cristaldi. Un troisième équipier vient de les rejoindre. Ce sera le dernier: faire travailler plus de coiffeurs serait impossible au vu de l’exiguïté des lieux, une sorte de grotto à la voûte couverte de fausses briques qui lui donne un cachet ancien.

Au fond de la salle, une platine fait tourner de vieux vinyles, avec une préférence pour les voix éraillées et profondes. Dans les niches, des bouteilles de whisky. L’unité de style est révélatrice: il y a un cerveau organisateur derrière tout cela, celui de Cristina Le Jeune Giacobbi. Cette ancienne de Procter & Gamble gérait des marques de produits coiffants pour professionnels. Elle y a accumulé «beaucoup d’informations sur l’homme, ses goûts, sa façon de vivre», dit-elle, ce qui lui a permis de concevoir un lieu «qui ne pouvait que marcher».

Son client type: le dandy, qu’elle définit comme un être soucieux de lui-même et de son apparence, indépendant des modes, aimant parler de ses manies avec ses congénères. C’est pour cela que Dandy’s Barber Lounge ne s’adresse qu’aux hommes. Cristina Le Jeune Giacobbi estime que ce mâle élégant et dépensier survivra à la dernière mode, celle des hipsters et de leurs barbes.

Car pourquoi lancer un salon de coiffure spécialisé dans les barbes, alors que leur vogue est censée s’étioler dans peu de temps? Il y a quelques mois, un mathématicien français avait prédit que la rapide propagation des hipsters banaliserait leur look et entraînerait sa disparition. Mais en fait, la mode des barbes atteint son paroxysme aujourd’hui, selon Romain Marincamp. Il y a toujours un effet retard entre le moment où les initiés décrètent qu’une mode est dépassée et celui où elle disparaît effectivement de l’espace public.

Chez Dandy’s Barber, les coupes de cheveux sont d’une belle radicalité, ce qui devrait permettre au salon de surmonter le déclin programmé des barbes. Ancienne candidate MCG au Grand Conseil, Cristina Le Jeune Giacobbi n’a guère hésité avant d’embaucher un «eurofrontalier» en la personne de Romain Marincamp, venu de Bordeaux où il officiait chez le coiffeur branché de la ville, Figure Libre. Cette provenance lointaine – du point de vue des populistes genevois – permet de nourrir d’intéressantes conversations sur la politique française, sujet idéal pour tuer le temps, en comparant les espoirs présidentiels respectifs d’Alain Juppé (toujours maire de Bordeaux) et de Nicolas Sarkozy.

D’un point de vue plus pratique, Dandy’s Barber possède un site internet où il est très facile de réserver. Une évidence à laquelle, semble-t-il, peu de coiffeurs genevois avaient pensé auparavant.